Ma mission d’évaluation au Mali
Christiane, coordinatrice AMP (Aide Médico Psychologique), je travaille dans le secteur du polyhandicap. Je réside au Creusot (Saône et Loire).
En août 2009, après avoir envoyé CV et lettre de motivation à l’ONG MISSION HUMANITAIRE, j’ai été en relation avec son Président qui cherchait une bénévole pour le Mali.
A partir d’octobre, j’ai eu des échanges très réguliers par mails avec Mohamed, qui avait fait une demande d’aide à l’ONG.
Le 1er février 2010, je suis partie pour le Mali accompagnée de Christophe, auteur photographe, résidant en Haute Marne.
J’ai évalué les besoins dans 9 villages du secteur de Karangasso :
- Karangasso,
- Djeneni,
- Souchiéna,
- Kongolikoro,
- Wolokoro,
- Sanakoroni,
- Yogola,
- Nantéguébougou,
- Yangasso
Ces villages se trouvent dans le sud du Mali, dans la commune rurale de Niéna. Karangasso est à 9 km de la route bitumée qui relie la capitale Bamako à la capitale régionale qui est Sikasso.
J’ai voulu être objective en rédigeant ce compte rendu, ne pas me laisser envahir par mes sentiments, mes émotions qui ont été très fortes durant ces 15 jours.
LUNDI 1er FEVRIER 2010
Départ à 9h20 de la Gare du Creusot TGV ; c’est le grand jour : MISSION MALI !
A Paris, j’ai retrouvé Christophe qui doit m’accompagner durant cette mission.
Nous sommes arrivés à 3h du matin à BAMAKO.
Monsieur Mohamed S., notre contact Malien, ainsi que son beau frère, Brahima nous attendaient à l’aéroport.
Puis, nous nous sommes rendus à l’auberge « DANAYA ». Cette nuit, ce qui m’a impressionné, ce sont les routes qui ne sont pas bitumées et cet amoncellement d’ordures sur les trottoirs.
MARDI 2 FEVRIER 2010
Il est 10h, après avoir très peu dormi, nous attendons Mohamed. L’auberge est, nous allons dire, correcte. L’endroit est calme et nous avons été très bien reçus.
Promenade dans Bamako, circuler dans cette ville est un véritable défi : beaucoup de vélos, mobylettes qui circulent dans tous les sens, pas de casques, pas de passages pour piétons ; les voitures, les bus sont très vétustes. Gros chargements sur les porte bagages des vélos ; les femmes, elles, ce sont sur leur tête . Et quel décor ! Tout parait sale, d’une telle négligence, tout semble traîner, à l’abandon…
Quelle tristesse de voir les enfants faire la manche pour demander : « à manger ».
MERCREDI 3 FEVRIER 2010
Départ à 10h30 pour Niéna.
Sur la seule route bitumée qui va de Bamako à Sikasso, notre vieille camionnette TOYOTA a des problèmes : arrêt dans un garage à Bougoumi. Pendant ce temps, petite pause déjeuner : quelques galettes de sésame et 2 pommes. Les habitants se nourrissent essentiellement de riz et de galettes de mil.
Nous arrivons à Niéna dans l’après-midi ; visite de courtoisie chez Monsieur Le Maire et chez Monsieur le Sous Préfet qui adhèrent à notre mission.
A 18h, après avoir parcouru 300km, nous arrivons à Karangasso. Tout le village était là pour nous accueillir avec des danses et des chants. Beaucoup d’émotions de ma part, on compte sur nous pour que cette mission s’inscrive dans la continuité.
Le secteur de Karangasso compte 9 villages (Karangasso se trouvant au centre). Pas d’eau courante, ni d’électricité, seule la maternité (si on peut l’appeler ainsi) a l’électricité, grâce à un système de capteurs solaires.
A 20h, repas, on nous avait préparé le plat local (riz, haricots, choux, poulet) réservé pour les grandes occasions. Christophe et moi avions des assiettes, les villageois mangeaient par terre avec les mains dans le même plat. Je tiens à le noter, car au début, cela surprend. Comme la toilette du soir avec un seau d’eau posé sur la terre battue. Nous sommes hébergés au centre de Karangasso, dans l’ancienne maternité, près de la nouvelle, et non loin du dispensaire.
Après le repas, la matrone vient me chercher : une jeune femme de 28 ans va accoucher, c’est son 4ème enfant. J’aurai longtemps cette vision : elle a accouché à même le sol, sur un plastique poussiéreux. Je me souviens d’avoir essayé de nettoyer, comme si j’avais voulu mettre cette femme dans un autre contexte plus décent. Quand j’ai vu la petite fille par terre sur des chiffons, la seule chose que j’ai pu faire c’est aller chercher une serviette dans mes affaires personnelles.
Conditions extrêmes, accouchement archaïque dans des conditions sanitaires déplorables ; et, tout cela sans un cri, sans une plainte.
Aussitôt après l’accouchement, la maman s’est levée et est allée se laver dans une bassine : il était minuit. Et le lendemain à 10h, le mari est venu les chercher avec une mobylette.
Les villageois m’ont dit que ce n’était pas un hasard si cette petite fille était née le jour de mon arrivée. Ils l’ont prénommée Christiane.
JEUDI 4 FEVRIER 2010
DEBUT DE L’EVALUATION DES BESOINS
1er village KARANGASSO qui est divisé en 5 quartiers : 1 761 habitants.
A 9h15, bonjour au chef de village (âge approximatif 95 ans, ne sait pas très bien son âge, il dit avoir 104 ans). C’est le plus âgé du village qui est désigné pour être le chef, c’est un ancien combattant de la guerre 39-45.
Il gère tout le quotidien du village par l’intermédiaire d’un conseil de village. S’il y a un problème à gérer, il réunit son conseil : il est très démocratique. Son fils le plus âgé est son émissaire pour faire la transmission au Préfet et au Maire de Niéna (il m’a dit que c’était dur à gérer). Il m’a donné sa bénédiction pour mener à bien cette mission.
Les musulmans ont droit jusqu’à 4 femmes, à condition d’avoir les moyens de les entretenir. Pour eux, c’est une bonne action pour ne pas laisser de femmes seules.
Le chef de village a 3 femmes, ils vivent tous ensemble et, selon eux, pas de problèmes.
Il y a 2 écoles :
- 1er cycle : enfants de 6 à 15 ans : 275 garçons et 267 filles ;
- 2ème cycle : de 15 à 18-19 ans : 200 garçons et 149 filles.
10 classes en tout. Les enfants sont tous scolarisés à Karangasso. Il y a 12 instituteurs, dont 2 directeurs. Il peut y avoir jusqu’à 121 élèves dans une même classe. Et bien sûr, très peu de livres, de cahiers et de stylos. Puis, à partir de 18-19 ans, ils vont au lycée de Sikasso qui est à 75kms.
Les enfants du second cycle des autres villages viennent tous à Karangasso (3-5-8 jusqu’à 10 kms ) à pieds, très peu à vélo.
C’est à partir de 1963 que l’école de Karangasso a été créée. Dans les autres villages du secteur de Karangasso, c’est à partir de 2000, et à Niéna en 1947.
Karangasso est le centre de ce secteur et c’est dans ce village que se trouvent la maternité et le dispensaire. Donc, pour 6755 habitants (3391 adultes et 3364 enfants), nous avons :
- 1 infirmier ;
- 2 matrones (dont une qui n’a pas de formation).
Descriptif du dispensaire :
En cas de maladie grave, ou d’intervention chirurgicale, les malades se rendent à Sikasso. La maladie la plus fréquente est le paludisme : en 1 an 118 personnes atteintes du paludisme , uniquement les cas déclarés au centre de santé, sinon ceux qui se traitent par les plantes ne sont pas recensés par l’infirmier faute de pouvoir les localiser.
Pour se faire soigner, il faut en moyenne 15 000 CFA (environ 24 euros). Quand les villageois n’ont pas les moyens, ils vont acheter des médicaments dans les rues en ville (non fiables, non contrôlés qui peuvent amener d’autres maladies).
L’infirmier va s’approvisionner à Sikasso : dépôt régional des produits pharmaceutiques.
Au Mali, un seul laboratoire pharmaceutique à Bamako construit et géré par les Chinois et qui est en faillite ; donc, il produit les médicaments essentiels en quantité très faible (essentiellement contre les infections pulmonaires, le paludisme, antalgiques, anti-inflammatoires). Tous les autres médicaments viennent de l’étranger (France, Belgique surtout, la Chine et l’Inde).
Les habitants du secteur de Karangasso se fournissent en médicaments chez le seul infirmier. Même si les malades sont très affaiblis, on les transporte en vélo, mobylette ou en charrette.
Ce sont les enfants jusqu’à 5 ans et les femmes enceintes qui sont le plus touchés par le paludisme. En moyenne, 11 cas par an de mortalité dans le secteur de Karangasso pour les cas déclarés.
Maladies également liées à l’eau, surtout en saison hivernale (pluies de juin à octobre) : diarrhées, pas de médicaments pour stopper ; de ce fait, déshydratation, donc obligé de perfuser.
L’infirmier s’occupe donc de la gestion et de l’approvisionnement des médicaments, il est responsable de la salle de soins (perfusions, soins divers), il s’occupe également de la vaccination : vaccins qui sont gratuits et pris en charge par l’Etat (DT Polio, Rougeole). Egalement, programme national de lutte contre le SIDA. Niveau d’étude de l’infirmier BAC+3
Revenu de l’infirmier : 40 000 CFA (aléatoire). C’est une moyenne, puisqu’il est rémunéré par la population suivant le nombre de consultations et la vente de médicaments.
Les médicaments que j’ai trouvé à l’infirmerie : anti paludisme, antalgique, aspirine, anti inflammatoire, antibiotique en petite quantité.
Descriptif de la maternité :
La maternité à Karangasso comprend une salle d’accouchement (si nous pouvons la nommer ainsi), une pièce avec 3 lits et un petit hall.
En un an, on compte environ 100 accouchements. Le tarif est de 1 000 CFA. Les femmes, qui n’ont pas les moyens, accouchent à crédit (car pas de caisse sociale, non reconnu par l’Etat).Les consultations prénatales se font une fois par semaines ; à partir du 4ème mois, c’est la 1ère consultation ; puis une fois par mois jusqu’à l’accouchement. Il n’y a pas de suivi après l’accouchement : la matrone n’est pas formée pour les consultations postnatales.
Elle a eu 6 mois de formation avec une sage femme à Sikasso ; si problème il y a, elle n’est pas en capacité de gérer.
Les femmes allaitent ; pas de biberon puisqu’elles n’ont pas les moyens de les stériliser correctement. Très peu de lait, surtout avec la saison sèche. 90% de la population n’ont pas de lait une fois par mois.
Pour les revenus, la maternité et le dispensaire sont groupés. C’est calculé en fonction des consultations des 2 organismes. A la fin de chaque mois, on fait le partage mais c’est non proportionnel puisque l’infirmier gagne en moyenne 40 000 CFA (60euros) et la matrone perçoit que 20 000 CFA (30euros).
Ce 4 février, le vent a soufflé très fort de 9h à 12h, c’est l’Harmattan.
La plupart des habitations sont des cases avec des toits de chaume construites avec de l’argile et de la terre ; ces constructions peuvent durer jusqu’à 50ans.
Les villageois se nourrissent essentiellement :
- matin : bouillie de mil sans sucre (trop cher pour eux) ;
- midi : pâte de mil avec une sauce tomate et parfois des oignons ;
- dîner : idem.
Le mil est un ensemble de céréales (millet, maïs, sorgho). Le riz est un repas d’exception. Pour leurs courses, ils se rendent à Niéna le jour de la grande foire qui a lieu tous les dimanches, mais c’est pour le strict nécessaire.
L’après-midi, nous avons rendu visite à une famille du quartier de Kazonbougou.
Quand j’ai demandé au chef de famille, le nombre d’enfants et d’adultes, il n’a pas pu me le dire exactement. Après concertation, il m’a dit 83 personnes. Il a précisé que c’était très dur pour nourrir tout le monde. Leur grande priorité est la nourriture, il leur arrive certains jours d’avoir faim. Leurs seules ressources, c’est par l’agriculture : maïs, millet, sorgho. Revenu minimum, en moyenne moins de 1 euro par jour.
Cette famille vit dans 70 petites maisonnettes (cases) qui sont regroupées les unes à côtés des autres. En cas de maladie, s’ils n’ont pas l’argent nécessaire, l’infirmier peut prêter s’il a le médicament. Dans certains cas, ils se retournent vers un guérisseur (plantes). En cas d’hospitalisation, parfois ils leur faut emprunter (voisins, connaissances). Tous les enfants de cette famille vont à l’école. Sur les 83 personnes la moitié sait lire et écrire. On compte 80% d’illettrisme au Mali. Leur seul petit plus, ils ont une radio pour les nouvelles nationales.
A 18h, nous rentrons à notre lieu d’hébergement.
Alors qu’en France, je pourrais m’installer confortablement dans un fauteuil, tourner un simple bouton pour préparer le repas ; désabusée, assise sur une chaise de fortune, je regarde Mohamed qui essaie de faire fonctionner un petit gaz d’appoint tout rouillé pour faire cuire des œufs. D’ailleurs il n’a pas réussi, nous avons eu recours au charbon de bois : c’est un autre monde, une autre époque !
VENDREDI 5 FEVRIER 2010
A 8h30, nous traversons la savane pour nous rendre au 2ème village : WOLOKORO, par des chemins de terre tous défoncés. Ce village compte 497 habitants. Toujours le même accueil chaleureux avec des chants et des danses. Le chef de village a 87 ans, il a 2 femmes. C’est une petite famille de 10 personnes dont 6 enfants.
Ressources : agriculture + petit élevage (moutons, poules, vaches). Ils se nourrissent 1 ou 2 fois par jour, ils ne mangent pas à leur faim. Revenu moyen de la famille : moins de 1 euro par jour. En cas de maladie, ils doivent se rendre à Karangasso si ce n’est pas trop grave, sinon à Niéna.
Le village a une école : 2 classes, 2 instituteurs : CP1 et CE1 , 60 enfants de 5 à 12 ans ; Après 12 ans, ils vont à Karangasso, en sachant qu’ils leur faut 2H à pieds (aller) ; ils n’ont pas de vélo. Ce village a une école pour adultes qui ouvre 2 mois consécutifs dans l’année pour apprendre à lire et écrire le Bambara.
Nous avons également visité une 2ème famille, 44 personnes, tous les enfants sont scolarisés.
Mêmes problèmes et préoccupations que la 1ère famille. Il s’est plaint du manque d’eau, de ce fait, manque d’hygiène. Ils ont très peu de vêtements. Les enfants ont la plupart des habits déchirés et marchent pieds nus. D’ailleurs, c’est une constatation pour l’ensemble des villages du secteur de Karangasso.
A midi, petite pause déjeuner, on nous avait préparé du riz, poulet, bananes. Ce qui est exceptionnel, c’était pour nous accueillir.
L’après-midi, nous nous sommes rendus au 3ème village de YOKOLA : 440 habitants.
Nous avons visité 2 familles :
- La 1ère dont le chef de famille est l’adjoint au chef du village. Cette famille comprend 75 personnes dont 35 enfants, 15 sont scolarisés (à partir de 6 ans).
- La 2ème famille dont le chef ne connaît pas son âge exact, environ 85 ans. Cette famille comprend 115 personnes dont 52 enfants. Le comptage s’est fait sur place car il ne connaissait pas le nombre exact d’enfants.
Quand les villageois ont des problèmes de vue, ils n’ont pas la possibilité d’avoir des lunettes, idem pour les appareils auditifs, il n’y pas de spécialistes dans ce domaine, il faut aller à Bamako (à 300 kms de Karangasso). Et même s’ils pouvaient faire le déplacement, ils n’auraient pas les moyens financiers (pas de caisse d’assurance maladie).
Je rappelle que tous les médicaments sont à la charge des malades. Seulement pour le personnel travaillant dans la fonction publique, les frais d’hospitalisation sont pris en charge à 80% par l’Etat.
Ce village comprend une école : 4 classes avec 2 enseignants. Ressources : agriculture + élevage. Niveau de vie : moins de 1 euro par jours.
Pour l’agriculture c’est de plus en plus dur. Ils voudraient construire un barrage, retenue d’eau pour améliorer ces 2 ressources.
Avec le prix en baisse du coton, arrêt petit à petit de la culture : 80% de la population a cessé de cultiver le coton. Il faut savoir que l’agriculture c’est surtout pendant l’hivernage (saison des pluies) dont 5 mois sur 12, de juin à octobre.
A 17h, nous avons pris la direction de Karangasso avec en cadeau : 2 poules, des œufs et du Kola (de l’arbre du Kolatier de la Côte d’Ivoire) : c’est un fortifiant, stimulant, déstressant.
SAMEDI 6 FEVRIER
A 9h, direction vers le 4ème village SOUCHIENA qui compte 1075 habitants.
C’est le chef de tous les chefs de 143 villages. Il est le patriarche du canton de Ganadougou : c’est son petit fils qui le représente.
Il faut savoir que même si le chef est sénile, il est quand même nommé chef de village : c’est en fonction de l’âge dans la gérontocratie.
Chaque chef de village a un conseil formé de chefs de famille.
Ce village a une école : 3 classes, 3 instituteurs :
- CP1-CP2 (dans la même classe : 88 élèves)
- CE2-CM2
Après le CM2, direction Karangasso. Je précise que la scolarisation n’est pas une obligation de l’Etat. Depuis quelques années (5-6 ans) ce sont les villageois qui se mobilisent pour l’alphabétisation.
Dans ce village, nous avons visité une 2ème famille qui comprend 104 personnes dont 72 enfants. Cette famille n’a pas les moyens de scolariser tous les enfants (17 seulement). Les autres vont travailler dans les champs à partir de 10 ans. C’est le mari qui désigne l’enfant qui doit aller à l’école (il choisit un enfant par femme).
Une personne de cette famille avait mal aux dents : comme pour la vue et l’audition, pas de solution, on subit le mal de dents. Je précise qu’il faut en moyenne 10 000 CFA pour se faire soigner. La visite chez un médecin, l’infirmier également, est de 7 500 CFA ; donc beaucoup n’ont pas les moyens. L’espérance de vie des hommes et des femmes est de 42 ans.
Puis, visite à une 3ème famille qui comprend 47 personnes dont 30 enfants. Tous les enfants qui ont l’âge sont scolarisés. On nous a précisé que le taux de mortalité est élevé chez les enfants (surtout jusqu’à 5 ans). Dans ce village, comme dans les précédents, leur problème principal : comment nourrir la famille ?
Même revenu : moins de 1 euro par jour.
Et toujours, toujours, ce même accueil très chaleureux avec des chants et des danses ; et toujours cette petite boule qui se met en travers de ma gorge et ce picotement dans mes yeux…
Après une petite pause déjeuner, nous nous sommes rendus au 5ème village NANTEGUEBOUGOU qui compte 398 habitants.
Tous les habitants s’appellent DIALLO, c’est comme si c’était une même famille. Une école : 2 classes + 2 enseignants (enfants de 5-6 ans jusqu’à 9 ans). Puis comme tous les autres villages, direction Karangasso pour le second cycle. Ce qui est exceptionnel par rapport aux autres villages, il y a une école qui enseigne le Français, mais également l’Arabe.
Nous avons visité une famille qui comprend 45 personnes dont 18 enfants (tous scolarisés).
Ressources : agriculture + élevage qui domine, donc cette famille est plus riche grâce à l’élevage. Trois maisons ont l’électricité, présence d’une mosquée. Moins de difficulté pour nourrir la famille. Revenus : plus de 1 euro par jour (très rare dans ce secteur de Karangasso).
DIMANCHE 7 FEVRIER 2010
Repos à Karangasso. Visite de la maternité et du dispensaire et entretien avec l’infirmier et la matrone.
Seulement 2 visites de courtoisie à 2 familles dans 2 quartiers de Karangasso.
L’après-midi, nous sommes allés à la grande foire de Niéna qui a lieu tous les dimanches. Nous en avons profité profités pour recharger les batteries (téléphones, appareil photos).
- 1ère visite de courtoisie dans le quartier de Bougoula dans une famille qui compte 45 personnes.
- 2ème visite de courtoisie dans le quartier de Noumoula chez le chef de quartier (71 ans) qui est forgeron. Toute la famille travaille le fer.
Il a 3 femmes qui travaillent dans la poterie. Ressources : agriculture + fer
Selon le chef de famille, grâce à l’activité de forgeron, ils vivent convenablement, c’est à dire 1,50 euros par jour. Il n’a pas pu dire le nombre de personnes dans la famille (environ 20).
LUNDI 8 FEVRIER 2010
Départ le matin à 9h pour le 6ème village de KONGOLIKORO qui compte 711 habitants et dont le chef de village a 84 ans. Sa famille compte 31 personnes dont 12 enfants. Il a 3 femmes, les enfants vont aux champs à partir de 8 ans, ils sont tous scolarisés.
Ressources : agriculture + élevage. Revenu : moins de 1 euro par jour.
Dans ce village, nous avons visité une 2ème famille dont le chef est adjoint au chef du village. Sa famille compte 21 personnes dont 10 enfants : 4 seulement vont à l’école (3 filles et 1 garçon). 3 enfants qui sont en âge d’être scolarisés constituent la main d’œuvre de la famille, et, il n’y a pas assez de ressources pour les envoyer à l’école. Ce village a une école : 6 classes + 6 enseignants pour 168 élèves (93 garçons et 75 filles). Un enseignant est rémunéré par le village pour faire le 6ème.
L’après-midi, nous avons visité le 7ème village de YANGASSO qui compte 220 habitants et dont le chef de village a 77 ans. Le chef de village a 2 femmes et sa famille compte 22 personnes dont 12 enfants.
Nous avons visité une 2ème famille dont le chef (62 ans) a 3 femmes. Sa famille compte 18 personnes dont 13 enfants. 5 enfants sont scolarisés, 2 enfants en âge d’aller à l’école n’y vont pas car trop de frais pour cette famille. Ce village qui est à 2 kms de Karangasso n’a pas d’école.
Ressources : agriculture seulement (encore plus pauvre).
MARDI 9 FEVRIER 2010
Le matin, départ pour le 8ème village DJENENI qui compte 1196 habitants.
Dans ce village, nous avons rendu visite à 2 familles :
- 1ère famille dont le chef a 3 femmes. Sa famille compte 51 personnes dont 21 enfants.
- 2ème famille dont le chef a 2 femmes. Sa famille compte 29 personnes dont 19 enfants.
Ce village a une école : 6 classes et 6 enseignants. CP1 = 52 ; CP2 = 45 ; CE1 = 37 ; CE2 = 43 ; CM1 = 43 ; CM2 = 34. Tous les enfants sont scolarisés. La particularité de ce village : 2 enseignants seulement sont rémunérés par l’Etat, 4 sont à la charge du village : ils sont payés grâce à la collaboration des villageois (agriculture, vente de bois, de bétails). Leur salaire est 30 000 CFA + 300kg de céréales + 1L. de Pétrole + essence pour moto.
Ressources : agriculture et un peu d’élevage.
L’après-midi, nous nous sommes rendus au 9ème village SANAKORONI TOGOLA qui compte 477 habitants et dont le chef de village a 2 femmes qui sont décédées. Sa famille se compose de 38 personnes dont 12 enfants.
Nous avons visité une 2ème famille dont le chef (75 ans) a 2 femmes. Sa famille se compose de 40 personnes dont 19 enfants. Tous les enfants sont scolarisés : il n’y a pas d’école, ils doivent se rendre à Karangasso qui est à 6kms.
Ressources : agriculture et un peu d’élevage. Revenu : moins de un euro par jour.
Le chef de village a précisé que c’était très dur pour se nourrir, ils n’ont que des céréales (repas non variés). Comme dans tous les villages du secteur de Karangasso.
Dans tous les villages, on prépare le beurre de Karité, surtout pour usage personnel et un peu pour le commerce local. Il se fait à partir de noix de Karité que l’on ramasse dans la brousse ; après les avoir séchées au soleil, on les fait cuire puis séchées encore après la cuisson. Une fois sèches, on les décortique , puis l’amande est broyée dans un mortier pour obtenir une pâte que l’on malaxe avec de l’eau chaude pour obtenir du beurre à l’état brut. Ce beurre est fondu dans une marmite puis, on le décante pour séparer les impuretés (qui vont au fond de la marmite). La partie épurée est mise dans un récipient et laissée à l’ombre pour qu’elle durcisse. Cela devient du beurre très utilisé pour la cuisine, pour l’hydratation de la peau, pour les nouveau-nés et pour les massages en cas de luxation. A partir de ce beurre de Karité, on peut fabriquer du savon.
Je voudrais également parler des deux capteurs solaires qui se trouvent à Karangasso : ce sont des plaques photovoltaïques qui fournissent de l’électricité à partir du soleil, et qui permettent de puiser l’eau souterraine pour alimenter le château d’eau. Quand le soleil se couche, l’eau ne coule plus à Karangasso. Il existe des pompes manuelles qui, la plupart, ne fonctionnent plus. Les villageois ne savent ni les entretenir, ni les réparer.
Pour l’électricité, l’installation est composée d’une batterie qui accumule l’énergie à partir du soleil pour l’utiliser durant la nuit et d’un convertisseur qui transforme ce courant en courant alternatif pour avoir le 220 volts. Il n’y en a qu’un seul à Karangasso qui alimente timidement la maternité avec 2 ampoules (une à l’intérieur, une à l’extérieur).Comme la puissance dépend du nombre de plaques ,on ne peut alimenter que la maternité.
Ce mardi 9 février, l’évaluation des besoins est terminée.
Ce compte rendu peut paraître fastidieux, on retrouve les mêmes problèmes, les mêmes priorités. Mais, par respect et en hommage à ces villageois qui nous ont accueillis et ouvert leurs cœurs, j’ai tenu à tout retranscrire, les visites de toutes les familles (2-3 par village, il fallait éviter les jalousies).
Et, également en hommage à Monsieur Mohamed Sangaré et Monsieur Brahima Coulibaly qui ont organisé et programmé cette évaluation de façon exemplaire.
Je tiens également à préciser qu’ils ont tenu à donner un recensement exact de tous les villages, car pour l’Etat ce ne sont pas les mêmes chiffres : ils doivent payer un impôt par personne donc certaines naissances ne sont pas déclarées. Tous les chefs de village nous ont donné leur bénédiction, et ils espèrent que cette mission s’inscrira dans la continuité.
Le bilan de ces 9 jours : extrême pauvreté, manque d’hygiène, pas d’électricité, pas d’eau courante ; manque de salle de classe et de matériel scolaire, Leur seule grande priorité est « de se nourrir ». Pas d’ordinateur (pour les enseignants, maire, sous préfet).
Ils n’ont pas la possibilité de se soigner correctement. Faute de moyens, certains enfants ne sont pas scolarisés. Et les enfants sont très nombreux (6-7-8-9 par femmes).
Dans chaque village, j’ai abordé le sujet de la polygamie et de la contraception en leur faisant comprendre que moins d’enfants, moins de bouches à nourrir. Il est vrai, qu’au départ, j’hésitais à en parler, je ne voulais pas les froisser (c’est tellement ancré dans leur culture), c’est Mohamed qui m’a encouragé à le faire. Après quelques sourires et rires entre eux, ils m’écoutaient. Pour eux, la polygamie c’est un devoir (on ne doit pas laisser de femmes seules). Et pour la limitation des naissances, ils semblaient d’accord mais précisaient qu’ils avaient besoin de main d’œuvre pour travailler dans les champs.
Durant ces 9 jours, j’ai toujours été accompagnée par 6 personnes et je les remercie car grâce à eux cette mission s’est très bien déroulée (malgré des conditions parfois assez dures et ce trop plein d’émotions qui m’envahissait à chaque fois que j’arrivais dans un village).
- Monsieur Mohamed SANGARE : gestionnaire du Crédit Agricole pour le matériel et les engrais (BAC+4) ;
- Monsieur Brahima COULIBALY : enseignant BAC+3 ;
Tous les 2 résident à Bamako et sont ressortissants du secteur de Karangasso.
- Monsieur Brahima SANGARE : chauffeur de la vieille Toyota qui nous a conduit dans tous les villages, et qui a eu beaucoup de mérite à circuler sur ces chemins tout en trous et bosses ;
- Monsieur Kader TOGOLA : président de la jeunesse du village de Karangasso ;
- Monsieur Alou SANOGO : secrétaire général de la santé de tout le secteur de Karangasso ;
-
Christophe : auteur photographe qui a fait un travail remarquable.
MERCREDI 10 FERVRIER 2010
10h30, départ pour Niéna, nous rendons une 2ème visite à Monsieur Le Maire et à Monsieur le Sous Préfet qui adhèrent pleinement à notre mission, et leur faire un petit bilan de notre évaluation.
Puis, direction Bamako, Monsieur Brahima Coulibaly et Monsieur Mohamed Sangaré nous accompagnent. A 16h, à 180 kms de Bamako, la camionnette commence à s’essouffler pour s’arrêter définitivement (cette fois ci c’est la grosse panne, courroie de distribution). Sans elle, nous n’aurions jamais pu visiter tous les villages.
Après une attente d’1h sur la route bitumée, à 37°, à faire du stop, un bus s’arrête (et quel bus : sièges déchirés, défoncés, vitres collées avec du plastique…). Mohamed, Christophe et moi arrivons finalement à Bamako à 18h.
JEUDI 11 FEVRIER 2010
Repos, promenade le long du NIGER et à Bamako, avec une certaine nostalgie de la brousse où tout est paisible, calme, hors du temps. Malgré leur extrême pauvreté, les villageois ont une certaine dignité qui appelle le respect.
VENDREDI 12 FEVRIER 2010
Le matin, visite du marché artisanal et de la pouponnière de Bamako qui est prise en charge par l’Etat. Et là, à ma grande surprise, je me serai crue en France, contrairement au secteur de Karangasso où c’est le manque d’hygiène, de soins, de nourriture qui frappe les enfants de plein fouet « tout est propre », les murs sont décorés, on retrouve du mobilier, les enfants ont des lits en bois, des draps, ils sont bien habillés.
A 15h, nous avons rendez-vous avec un personnage important à Bamako : Le Directeur général de la police des Frontières et qui est ressortissant du village de Yankasso. Il nous a donné son accord et son soutien pour la mission ; et, nous a promis de nous aider quand un plan d’action serait mis en place (notamment pour l’amélioration des chemins qui relient les villages).
SAMEDI 13 FEVRIER 2010
Repos et visite du musée de Bamako.
DIMANCHE 14 FEVRIER 2010
Nous sommes restés à l’auberge pour faire le point et un récapitulatif de notre mission.
LUNDI 15 FEVRIER 2010
Retour pour la France
CONCLUSION :
Je vais terminer ce compte rendu en vous racontant cette petite histoire : Un soir Mohamed nous a donné de la papaye ; je l’ai épluchée et partagée en 2 pour donner la moitié à Christophe. Quand j’ai levé les yeux, une dizaine d’enfants me regardaient où plutôt fixaient la papaye. Après avoir regardé les enfants et le fruit, je l’ai coupée en plus petits morceaux, et, leur ai dit d’aller s’installer sur un banc qui était à proximité. Des mains sales (j’ai eu envie de leur dire d’aller se laver, mais de toute façon, il ne se seraient pas éloignés et d’ailleurs pas d’eau à proximité) se tendaient vers moi ; et, alors que je distribuais ce fruit de convoitise, d’autres enfants sont arrivés et les morceaux que je coupais étaient de plus en plus petits. Et moi, je me disais, il faut qu’ils aient tous un morceau ; mais, si d’autres enfants arrivent, ce ne sera plus possible.
Je voudrais vous citer deux proverbes de Joseph ANDJOU (de sagesse africaine)
« Le serpent a beau courir, il ne va pas plus vite que sa tête »
« On ne peut réaliser l’impossible »
« Même s’il n’y a pas de coq pour chanter à l’aube, le jour se lèvera »
« Quelle que soit la nature d’un problème, il y a toujours une solution »
Fait le 27 mars 2010
Christiane